La jeune femme regardait au loin, le regard perdu dans ses pensées. La clarté diminuait autour d'elle, sans qu'elle y prête la moindre attention. Elle était assise là, enveloppée d'un silence surnaturel, débarrassée de sa cuirasse, son épée négligemment rejetée à ses pieds.
Son esprit aurait voulu trouver le repos après cette longue journée, mais il ne le pouvait. Sa vision s'obscurcit, et elle revit le détail d'une passe d'armes : le coup brutal asséné par son adversaire, son esquive, et la contre attaque dévastatrice qui avait suivie. Aucune hésitation, pas l'ombre d'un doute, son geste avait été précis et fluide. Meurtrier ...
Elle entendit à nouveau le bruit affreux de son arme plongeant dans la gorge de son ennemi, tranchant sans pitié le fil de vie de celui-ci. Il était mort noyé dans son sang, à ses pieds, un regard plein d'incompréhension figé pour l'éternité sur son visage.
Elle les voyait maintenant autour d'elle, ces paires d'yeux inquisiteurs, qui la fixaient comme pour l'accuser. Elle avait mis fin à tant de vies ... coupable. Coupable ! COUPABLE ! Les yeux tournaient autour d'elle sans lui accorder le moindre repos, dardant leurs regards implacables sur un assassin qui ne faisait que défendre sa vie. Le terme lui arracha un sourire plein d'auto dérision.
- " et tu tueras à nouveau, encore et encore, cela n'aura pas de fin ... " ajouta une voix dans son esprit.
Elle aurait aimé rentrer à Tortage dès la fin de l'engagement, l'amitié des membres de la Confrérie aurait été pour son âme un baume apaisant, mais elle s'était juré de ne jamais imposer ses émotions à ses compagnons. Se relevant d'un bond, elle empoigna son épée et enfourcha vif-argent, son Rhinocéros, partant pour une folle "chevauchée", qui la fatiguerait au point de le plonger enfin dans les bras d'un sommeil réparateur.
Dans son dos ou dans son esprit résonna l'écho d'un rire diabolique, bien trop familier ...
Elle émergea de sa torpeur avec brutalité, se redressant soudainement, tâtonnant à la recherche de sa lame. Elle était étendue à même le sol, son regard embrassant un paysage étrange et pourtant familier. Le sol poussiéreux avait une couleur ocre, et des ossements blanchis en dépassaient. Elle banda ses muscles et focalisa sa volonté, découvrant en elle une inexorable envie de tuer. Sa soif de sang se calma un peu devant sa solitude, et en se relevant elle découvrit le cadavre d'un guerrier en armure.
Elle fut tout de suite intriguée par les formes élaborées de celle-ci, et surprit d'en reconnaitre les motifs. A mesure que son esprit s'éclaircissait, elle reconnut avec stupeur le harnois de son père. La lame familiale gisait à la main du défunt, et les tatouages et autres signes tribaux ne laissaient aucun doute sur l'identité de celui-ci...
Les seuls restes du précédent porteur étant quelques os blanchis, elle décida de récupérer son dû, et s'équipa avec une lenteur révérencieuse. Les dernières paroles de son père résonnèrent à ses oreilles :
- On ne gagne plus la guerre avec une épée, mais avec des mots ...
La fureur l'envahit, et elle fut tentée de chasser les ultimes vestiges d'un coup de pied rageur, s'arrêtant à quelques centimètres du crâne. Elle avait toujours voulu endiguer ce flot violent qui coulait dans ses veines, mais cela devenait de plus en plus dur avec les années. Elle se demanda un instant si elle allait finir par succomber, devenant une tueuse psychopathe aussi dangereuse pour ses alliés que pour ses ennemis. Rejetant l'idée d'un haussement d'épaule fataliste, elle se mit en route ...
Bientôt, la voix lui parlerait à nouveau, afin qu'elle tienne sa part du pacte.
Bientôt, elle tuerait, et pourrait, enfin, dormir, se reposer ...
Dim 1 Juin - 13:06