On n'entend dans cette nuit glacée que les crépitements d'une maison en flamme, se mêlant aux glapissements des hyènes affamées qui déjà s'approchent, une lueur jaunâtre aux yeux, sentant la bonne affaire en l'odeur du sang qui venait d'être versé.
Deux soldat de Set, le visage imperturbable, entourent un homme, à genoux et fortement amoché, regardant le sol. Il halète, un sifflement sinistre s'échappant de sa gorge à intervalles réguliers.
Un prêtre de Set le regarde, et, tapant impatiemment du pied, lui dit, d'une voix emplie d'un profond ennui :
" - où est elle ? "
L'homme leva alors les yeux sur le prêtre, et, tout en tendant difficilement de tirer un râle supplémentaire d'air au travers de sa cage thoracique écrasée, marmonna une malédiction inintelligible et vomit un peu de sang.
Le prêtre poussa un long soupir, puis dit :
" Tu ne mérites même pas l'honneur de nourrir le grand serpent. "
Faisant un vague signe à un garde, il repartit d'où il était venu. Alors que l'homme jetait un regard plein de haine à la forme qui disparaissait dans la pénombre, le garde en question leva le plus haut qu'il put sa lance et lui trancha net la tête. Celle ci roula dans le sable, dans un bruit mat. Dans la nuit, une autre hyène glapit.
Pendant ce temps là, une forme sombre, presque imperceptible, luttait pour se maintenir à la surface du fleuve, s'éloignant, nageant aussi vite que lui permettaient ses blessures. Les yeux pleins de larmes et le coeur plein de rage, elle ne se retourna pas.
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Je m'appelle Khassandra, c'est en tout cas le nom qui m'a été donné pour mes missions.
Dès que je fut en âge, je fut initiée aux mystères et aux plaisirs de la chair dans le grand temple de Derketo, au coeur de la cité de Luxur.
Il nous y a été appris toutes les manières de satisfaire et de rendre fou de désir un homme, et ce afin que, sous l'égide de Derketo, reine de la mort, déesse du plaisir et courtisane de Set, nous puissions servir la haute noblesse Stygienne.
Notre formation comprenait aussi plus de cent manières de tuer un homme, car, sous couvert de notre occupation première, nous étions la milice secrète du clergé de Set : des courtisanes, putains capable de combler le moindre désir, le moindre fantasme, et même aller au delà de l'imagination de nos hôtes, tuant dans leurs sommeils de nos aiguilles acérées, ceux qui s'opposaient à notre Dieu, en paroles ou en actes, soient-t'ils maudit pour l'éternité.
Ainsi quand le jour nous nous adonnions aux orgies données dans le temple même de Derketo, ou dans les chambres des palais de Luxur, la nuit nous donnions la mort aux faibles et aux ennemis du grand Set, soit-il loué.
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Mais une nuit, elle regarda l'homme endormi à côté d'elle, et retint son bras. Elle retint sa respiration, contemplant son corps d'ébène. Dans le silence, elle n'entendait battre que son coeur.
" - Le chien de Mitra est il mort ? " glapit le prêtre.
- Pas encore, répondit-elle, de toute la nuit, je n'ai pu l'épuiser. "
Le prêtre croisa les bras et leva un sourcil :
" - Ce n'est pas ce à quoi tu nous avais habitués, Khassandra... Fais vite, Set s'impatiente. "
La seconde nuit, elle sortit s'assoir, en silence, devant le Styx, essayant de calmer la tempête dans son coeur par l'écho du lent remou du fleuve. Quel sort ce chien lui avait-il donc lancé qu'elle se sente si faible ?
Dans les cours du temple, depuis quelques semaines, les railleries concernant le Stygien revenu d'Aquilonie et converti à Mitra allaient bon train. Ce genre d'écart se réglait généralement dans l'estomac de l'un des serpents de la cité, mais il faisait partie d'une des familles les plus riches de Luxur, et il n'allait être point simple de réduire au silence l'imprudent. L'affaire avait donc été discrètement confiée aux courtisanes de Derketo, plus compétentes à régler l'affaire qu'un quelconque autre moyen au grand jour.
Résolue, Khassandra se redressa, rejoint la chambre, réveilla l'homme et, cachant ses aiguilles dans les manches de sa tenue de satin, lui raconta la vérité.
" - Je n'ai pu cette nuit non plus, ô prêtre... "
Bouillant de rage, le prêtre hurla sur la courtisane :
" - N'entends tu pas ce qu'il se dit dans les couloirs ? Tu déshonores ton Dieu, Set, et par la même occasion ta déesses et reine , Derketo, par ton manque d'habileté ! "
Reprenant son souffle, il ajouta, plus calme :
" - N'échoue pas cette nuit, Khassandra, ou tu iras honorer ton Dieu... d'une autre manière. "
Elle s'inclina et sortit de la pièce, la tête basse.
Le prêtre fit signe à un garde d'approcher et lui marmonna quelque chose.
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Alors qu'elle entendit, au loin, un énorme craquement, la maison qui s'effondrait, s'en doute, elle ne pouvit s'empêcher de repenser à cette nuit là, où elle lui avait avoué son véritable dessein. Après lui avoir tout raconté, il lui avait sourit, il lui avait pardonné. Elle l'avait aimé trois nuits.
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La porte de la taverne s'ouvre en grinçant, elle rentre péniblement, tenant son côté endolori, et s'affale sur une chaise. Le tenancier l'observe, impassible, le visage froid, détaillant chaque partie de son anatomie.
" - C'est pas un endroit pour vous, mam'selle... "
Elle lève enfin les yeux sur le tenancier, ils sont froids, ses larmes ont séché.
" - Je crois qu'au contraire c'est exactement l'endroit dont j'ai besoin. "
Le tenancier l'observe encore un instant, sans mot dire, puis ouvre une trappe au sol, et lui jette :
" - Restez là. Je vais voir ça avec les autres."
Mer 4 Juin - 19:56